Avais-je vraiment le choix ? A voir la couleur de mes yeux ce matin là, j'aurai dit que non. Il me fallait chasser dans la journée, sans quoi je deviendrai dangereuse pour les humains, bien que je sache parfaitement me contrôler en leur présence. Mes deux frères avaient chassé il y a deux jours, Alice et Esmé également. Carlisle était très prisé à l'hôpital. Mon mari n'était pas au bord du gouffre, mais il accepta de me tenir compagnie. Vivre dans une famille de vampires était un calvaire quand l'intimité était ce donc vous aviez le plus besoin. Entre ceux qui voient votre futur, ceux qui entendent vos pensées et tous qui entendent le moindre bruit, on pouvait difficilement se laisser aller. Autant dire que je savourais ces petits moments d'intimité avec mon époux depuis plusieurs décennies maintenant. Nous sommes partis tranquillement, main dans la main en direction du bois proche, à l’opposé de cette limite que nous imposaient le territoire et les membres de la Push. Nous avons ensuite couru sur quelques kilomètres, franchissant un fleuve, escaladant une falaise pour arriver à l’orée d’une petite clairière.

La il chassa un cerf, alors que je me jetais sur une biche. J’avais pris soin d’en choisir une qui ne soit pas mère, histoire de ne pas priver un petit de la chaleur maternelle comme cela avait été le cas pour moi, même si j’avais eu dix-huit ans. Nous avons bu, chacun de notre côté. Ses yeux étaient redevenus d’un belle couleur ambre. Les miens méritaient sans doute un peu plus d’attention, même si en rien ils n’étaient menaçants à présent. Le brun clair m’allait à ravir en vérité. Entendant du bruit, nous nous sommes dirigés vers l’origine pour voir un groupe d’humain en train de faire une course de voiture sur un terrain vague. Mon mari semblait enchanté. Moi personnellement, ce n’était pas dans mes passions que de regarder des humains suicidaires s’amuser avec leurs véhicules. Je l’ai laissé à ses petits commentaires pour continuer ma chasse, espérant trouver une proie qui serait plus alléchante pour moi que cette pauvre biche dont le cadavre était toujours exposé au cœur de la clairière. Je suis revenue sur mes pas, en courant, déviant un peu vers l’Est. C’est là que j’ai senti une odeur alléchante, certes, mais dont je ne m’abreuverais pas. Je ne l’avais jamais fait, je ne comptais pas commencer maintenant.

A pas feutrés, je me suis approchée de la source de cette odeur. Si un humain était blessé, je me devais peut-être d’intervenir. Je l’avais déjà fait pour Emmett après tout. Restant à une distance raisonnable, mon ouïe m’indiqua qu’il était trop tard cependant, pour espérer quoi que ce soit pour l’humain. Son cœur s’était arrêté, pauvre de lui. J’ai ressenti une peine à l’égard de cette personne. Camouflée, toujours, je vis une personne de petite taille se relever. Un vampire à en juger par l’odeur et aussi par la scène finale à laquelle je venais d’assister. Un vampire si petit ? Comment cela se pouvait-il ? Il n’avait en rien l’air d’être un adulte atteint de nanisme. Le vampire s’asseyait dans l’herbe à présent, près du corps de sa victime. Quel genre de créature fait cela ? J’ai déjà vu des vampires carnivores à l’œuvre, et en aucun cas ils ne restent plantés là, près de leur proie. J’avais moi-même abandonné la mienne quelques kilomètres plus loin après l’avoir tuée dans un premier temps et vidée de son sang, dans un second. Ma curiosité piquée à vif, je me suis approchée toujours à pas feutrés. Après tout, le vampire devait déjà m’avoir sentie, même entendue, mais je restais toujours méfiante. C’est alors qu’il, ou plutôt elle, releva les yeux vers moi.

J’avais bien du mal à croire à la vision que j’avais sous les yeux. Elle semblait si jeune, si fragile. Comment avait-on pu lui infliger pareille torture. Pauvre petite. Je la sentais nerveuse, sans doute effrayée que je l’ai vue faire. Elle devait savoir ce que j’étais pourtant, j’en étais certaine. « Bonjour Madame, que me voulez-vous ? ». Une voix d’ange, dans un corps d’ange. Un ange éternellement damné. Je me suis accroupie, restant quand même à une certaine distance d’elle pour ne pas l’effrayer. Mon regard glissa de son visage d’ange sur celui de sa pauvre victime dont le corps gisait toujours là, sur le sol. Je ne pouvais pas laisser la dépouille de cette pauvre humaine ici. Avant de pouvoir retrouver la jeune vampire, je devais m’occuper de cela. J’ai fais comprendre à la jeune fille que j’allais revenir, qu’elle ne devait pas bouger. Sans quoi de toutes manières, je savais que je la retrouverai, j’enregistrais son odeur pour ne pas la perdre. Je me suis relevée et j’ai soulevé le corps de la jeune femme pour la conduire à quelques pas, dans les broussailles. Je l’ai allongée là, auprès d’un tronc et couverte de feuillages.

En aucun cas, bien que le sang fût présent, je n’eus envie d’y poser mes lèvres. Après mon acte achevé, je suis retournée près de la petite vampire, qui n’avait pas bougé. Je ne sais pourquoi, je sentais qu’elle avait besoin de quelqu’un. Je sentais qu’elle était seule. Intuition féminine. Je me suis assise à une distance de nouveau raisonnable près d’elle, et je l’ai regardée dans les yeux. Visiblement, elle n’avait jamais envisagé notre régime. Ses yeux rouges me le prouvaient. Avait-elle un pouvoir ? Peut-être. Je ne savais pas. Et ce n’était pas une question à poser si directement. J’ai joins mes mains, tout en ne la quittant pas du regard. Elle était si jolie.

« Rien de mal, rassures toi. Qui es-tu ? »

Ce fut ma simple réponse à sa question, simple réponse et premier mots de cette première rencontre.